De part de la nature même des sujets évoqués dans cet article, la plupart des liens qu’il contient sont NSFW.
2010, quelque part au Japon
Le professeur Torotoro décide de créer le visual novel parfait. Sa recette est aussi simple qu’efficace.
Tout d’abord, il met dans son chaudron tout plein de monster girls…
Le phénomène Monster Girls
L’emploi dans la fiction, les mythes, les légendes et les religions, de créatures fantastiques à base humaine mais intégrant des éléments d’autres espèces (minotaures, sirènes, anges…) ou des particularités physiques hors-normes (gigantisme, cyclopie, multiples paires de bras…) est littéralement aussi vieille que la civilisation, avec des traces remontant jusqu’au paléolithique.
Les auteurs récents continuent à puiser dans ce vivier, ainsi qu’à l’enrichir, et le Japon ne fait pas exception, de Miyazaki à Yozakura Quartet. Parmi toutes ces interprétations, certaines se démarquent par une esthétique moe très poussée, adoucissant les traits des créatures humanoïdes, réinventant celles purement monstrueuses sous une forme anthropomorphique, et les féminisant si besoin est. Ces variations toutes particulières sont regroupées sous l’anglicisme monster girl.
Exemple : Le Jabberwock, célèbre créature de l’univers d’Alice au pays des merveilles, dans son interprétation classique contre sa réinvention en monster girl.
Mais plus que l’origine géographique et le style de leurs représentations, les monster girls s’opposent aux autres monstres au féminin car elles sont mises en scène de façon à créer de l’attachement émotionnel plutôt que de la pitié, du rejet ou de l’antagonisme. Quelques images expliqueront cela bien mieux qu’un long discours :
Arachné, héroïne tragique de la mythologie grecque, revisité par Gustave Doré (XIXème) qui la dépeint sous la forme d’un être mi-femme mi-araignée, dans une scène de sa série d’illustrations sur les enfers de Dante.
Lolth, la déesse araignée dans l’univers de Donjons et Dragons (jeu de rôle publié pour la première fois en 1974), mère d’une espèce d’êtres à son image chimérique, les driders.
Une arachné, l’une des espèces de monster girls recensée par la Monster Girl Encyclopedia (2010).
Bien que ces trois dessins partagent une thématique commune, un être hybride mi-femme mi-araignée, l’intention est toute différente entre une tisserande torturée, une destructrice mère des monstres et une ambigüe créature à la tenue ouvertement sexy. Seule la dernière version rentrera donc dans la catégorie qui nous intéresse.
La présence de monster girls dans la culture pop japonaise, en particulier de la très répandue catgirl, ne date pas d’hier. Wikipédia avance d’ailleurs la date de 1924 pour les premières nekomimi. Personnages secondaires ou protagonistes, dans des pantalonnade ou des œuvres de qualité, elles restent un gisement régulièrement exploité.
Mais le phénomène a pris un sacré coup d’accélérateur vers 2010, avec la sortie coup sur coup de plusieurs titres majeurs explorant ce genre bien plus en profondeur, en y intégrant de nombreuses créatures de multiples mythologies et aux modifications physiques plus extrêmes que de simples oreilles et une queue. Trois noms sont à retenir :
Monster Musume no Iru Nichijou, manga de Okayado, réécriture légalement autorisée à la vente au moins de dix-huit ans (l’honnêteté m’interdit d’écrire « tout public ») de ses précédents essais plus érotiques. Tous traitent de la vie de tous les jours dans notre monde moderne d’êtres dont le corps n’est pas forcément adapté (lamia de plus de huit mètres de long dans les transports, sirène sur la terre ferme…).
La Monster Girl Encyclopedia par Kenkou Cross, qui raconte les habitudes d’un grand nombre de monster girls dans leur environnement naturel (un monde de high fantasy), dont quelques espèces plutôt inattendues comme la cocatrix, Charybde et Scylla… Une attention toute particulière est apportée à la description de leurs rituels nuptiaux.
Et Monster Girl Quest, sujet du présent article.
À noter que tous ces projets sont encore en cours d’une façon ou d’une autre à la date d’écriture de cette article (nouveaux chapitres pour Monster Musume, nouveaux suppléments pour l’encyclopédie, spin-off pur RPG pour Monster Girl Quest), et restent ainsi des pierres angulaires du mouvement. Ils se sont également beaucoup influencés mutuellement, avec même des collaborations explicites (Kenkou Cross est par exemple le chara designer d’Alice, l’héroïne de MGQ).
Il n’aura également échappé à personne que les éléments que je viens de citer sont tous liés plutôt étroitement à la chose, mettant régulièrement en avant la sexualité de leurs héroïnes et décrivant crûment leurs relations charnelles avec les humains, généralement au masculin. Ou, avec une formulation moins alambiqué : Du cul, du cul, du cul !
Et effectivement, cette expansion de l’univers des monster girls obéit en premier lieu au désir de répondre à un certain fétichisme. Combiné au fait que la scène underground est souvent étroitement lié à une certaine vision de la pornographie, en particulier au Japon (mais pas que, comme le rappellent par exemple certains comics indie américains), et que, comme le dit l’adage, « le cul, ça vend », ces œuvres précises sont les plus distribuées et influentes.
Ensuite, elles doivent justement leur popularité au fait qu’elles ont construites quelque chose autour de ce fantasme, dépassant leur statut d’enchaînements de scènes X pour bâtir des mondes cohérents. Il est donc plus que réducteur de les résumer uniquement à cela.
Certains monstres originaux ont d’ailleurs des concepts plutôt intéressants.
Puis le professeur Torotoro ajoute de vrais morceaux de Superior…
Superior
Superior est un manga de Ichtys maintenant terminé paru à partir de 2004 au Japon chez Square Enix, puis publié en intégralité quelques années plus tard en France chez Ki-oon. Il comporte au total de 15 volumes, artificiellement séparés en deux séries (Superior et Superior Cross) à cause d’un changement de magazine de prépublication.
Malgré des qualités certaines, il est relativement peu connu, mais a clairement été lu par un certain créateur.
L’histoire se passe dans un monde de high fantasy à forte inspiration JRPG, où monstres et humains se livrent une guerre destructrice depuis une éternité. À la tête des premiers se trouve le Roi Démon, être aussi mystérieux que surpuissant. En défenseur des seconds, le courageux Héros, l’élu des hommes.
Cependant, le Héros de cet génération a la particularité d’être un idéaliste d’un incurable optimisme, qui pense que l’humanité et les monstres peuvent cohabiter et qu’une solution pacifique à ce conflit est possible, plutôt que l’élimination totale de l’autre camp qui est la thèse privilégiée des têtes couronnées.
Son pire ennemi est sa propre candeur, le rendant naïf et vulnérable. En particulier, il ne peut exprimer son plein potentiel l’arme à la main car son désir de ne pas faire de mal à ses adversaires retient son bras. Mais le destin mettra rapidement sur son chemin une lame enchantée lui permettant de faire éclater son talent tout en respectant ses idéaux.
Notre histoire commence alors qu’il rencontre au détour de sa quête une jeune monstre mystérieuse, qui, intriguée par son comportement singulier, se décide à l’accompagner.
Celle-ci se révèle bien vite disposer de pouvoirs magiques absurdes, qui font fuir ou plier le genou à tous les autres monstres, mais qu’elle n’utilise que quand le Héros a le dos tourné.
Mais qui peut-elle bien être en réalité ?
Plagiat ? Pas vraiment.
Dans la pratique, passée la correspondance presque parfaite des situations initiales et quelques thématiques récurrentes qui résonnent en harmonie, comme un optimisme permanent ou encore une place prédominante donnée à l’archétype du savant fou… les scénarios de Superior et Monster Girl Quest divergent au final assez rapidement et suivent ensuite des voies très différentes.
Il est évident que le scénariste de MGQ a lu Superior. Mais plus qu’une volonté de reprendre sans effort un canevas déjà existant, j’y vois plutôt une influence forte sans intention maligne.
Il faut se rappeler que lorsque le premier chapitre de Monster Girl Quest est sorti début 2011, il s’agissait de la première véritable création de Torotoro Resistance, et, bien qu’il soit déjà d’excellente qualité, il est encore celui où ils cherchaient leur voie, construisaient leur univers, et où transparaissaient le plus clairement les œuvres les ayant inspirées, qu’il s’agisse d’un hommage volontaire ou d’une résurgence inconsciente, que ce soit Superior, la saga des Dragon Quest (nombreux exemples, à commencer par une slime comme tout premier ennemi du jeu), et de façon générale les JPRG… Il y a des tas d’autres références qui transparaissent ici et là, Superior est simplement l’une des plus marquées.
Et enfin, il y déverse des tas de bonnes choses.
Des tas de bonnes choses
Une composition sonore basée sur des musiques libres dont du Chopin. Mais une de celles les plus souvent associées au jeu est 最期のレクイエム de Rengoku Teien, groupe sur lequel je n’ai malheureusement pas grand chose à vous dire faute de comprendre le japonais. Dans MGQ, elle est la musique associée aux mythiques Chevaliers Célestes.
Un système de combats inspiré de RPGs extrêmement old school, plus proche des vieux titres du début de la micro-informatique que de la dernière fournée HD. Les affrontements sont généralement extrêmement scénarisés, avec la nécessité de trouver la bonne parade aux techniques des ennemis pour espérer triompher. Bref, il faut souvent réfléchir un peu, même s’il y a tout de même parfois un facteur chance… et que votre déesse protectrice peut vous souffler la solution en cas de blocage.
Énormément d’humour, d’auto-dérision et de regards en coin au quatrième mur, comme Alice se plaignant de la présence d’une compétence d’une nullité honteuse dans notre menu, mais jamais d’attaques contre le genre ou les lecteurs, ni de bouffonnerie particulièrement grossière (OK… sauf Amira et sa bande). On rie avec le jeu, pas du jeu.
Des personnages excessivement attachant, des primordiaux comme Luka, Alice et les Quatre Chevaliers Célestes aux plus secondaires comme les Quatre Bandits.
Un vrai scénario, qui, bien qu’il enfile les clichés, le fait avec temps de bonhomie et d’entrain qu’il est difficile de ne pas se laisser porter. D’autant qu’il réserve tout de même quelques surprises à ne pas négliger, avec même des moments sincèrement tragiques.
Une durée de vie conséquente, en dizaines d’heures, et ce en l’absence de mécaniques uniquement dédiées à gagner du temps (malgré quelques monstres de remplissage il faut l’admettre).
Des passages d’anthologie, avec un côté parfois presque stupidement épique mais tellement agréable, notamment à la fin des seconde et troisième parties.
Et j’en passe.
Mais voilà que, pas du tout accidentellement, le professeur Torotoro ajoute un autre ingrédient à sa mixture : l’agent chimique X.
L’agent chimique X
Autant cesser de tourner autour du pot : Le sous-titre du jeu est Lose and Be Raped. Je crois qu’il est difficile de faire plus explicite. En comptant toutes les scènes X, j’arrive à une moyenne très approximative d’une tous les quarts d’heure. Il se passe rarement plus de temps sans qu’une monster girl essaye de tripoter le Héros.
De plus, il s’agit effectivement de viols purs et simples, Luka étant forcé à avoir des relations sexuels contre son gré avec à peu près tout ce qui arbore une poitrine.
Cependant, il me paraît important de souligner plusieurs points :
- Ces scènes sont facultatives, et ne se déclenchent que si Luka est vaincu au combat. Les seules scènes obligatoires sont celles de la toute mignonne romance entre Luka et Alice (ainsi que deux moments un peu bizarres mais consentants également), qui ne seront guère sujettes à réprimandes.
- Elles sont traitées comme de mauvaises fins, avec un Game Over juste derrière, et souvent couplées à une continuation funeste (Luka peut être dévoré après ou pendant, utilisé jusqu’à mourir d’épuisement, conservé comme esclave pour le reste de sa vie…).
- Ces scènes sont écrites de façon à émoustiller le joueur masculin, et bien qu’ils s’agissent de viols dans l’histoire, le champ lexical employé est celui des fantasmes de domination consentante et non forcée.
Bref, on est très loin d’une apologie du viol, et plutôt dans le procédé narratif assez malheureux pour glisser un maximum de scènes érotiques où un mâle humain soumis a des relations sexuelles avec une créature inhumaine dominatrice.
Il faut également admirer les exploits que Monster Girl Quest réussit autour de ces moments.
Déjà, normalement, plus il y a de cul moins il y a de scénario, ne serait-ce que parce que le temps manque pour développer ce dernier. Et pourtant, malgré cette fréquence élevée dans le hentai, MGQ n’a aucun problème à installer ses personnages et son histoire. Un des commentaires plus récurrents sur ce jeu est d’ailleurs I came for the porn, I stayed for the plot. (« Je suis venu pour le porno, je suis resté pour le scénario. »).
Deuxièmement, il parvient à donner une cohérence à ces scènes. Dans beaucoup de VNs avec un scénario, les scènes X sont saupoudrés sans aucune conviction à la manière d’inserts hard, prêtes à être retirées pour la version console, et n’apportent que du malaise tant elles jurent souvent avec le reste de l’œuvre.
Or, tout à l’inverse, MGQ a littéralement été construit comme un autel en l’honneur de la téraphilie. L’univers en général est bâti autour du sexe, de la tension sexuelle entre les humains et les monstres, qui n’ont pas le droit, par commandement divin, de s’accoupler, de la nécessité de ces relations pour les monstres, qui sont des espèces intégralement féminines qui ne peuvent se reproduire sans les hommes…
Alors oui, ça fricote beaucoup, énormément même. Mais dans un monde où il existe un lieu se nommant le village des Succubes, ce serait plutôt l’inverse qui serait étonnant.
Et, pour la blague, MGQ réussit à quelques moments à se révéler moins stupidement sexualisé que bon nombre de RPGs plus grand public, notamment avec certaines armures féminines :
D’un côté, ce qui fut un des MMORPG les plus populaires. De l’autre, un jeu hentai. Cherchez l’erreur.
Bon, d’accord, ce n’est pas vraiment un score nul au bingo, et l’espèce de bikini d’Alice aperçu plus haut contredit totalement mon exemple choisi avec minutie pour le plaisir de troller. Mais je trouvais cela assez amusant pour le signaler.
Et c’est ainsi que naquit Monster Girl Quest, le meileur Visual Novel de tous les temps !
De la qualité là où on ne l’attend pas
Cette description est volontairement exagérée. MGQ n’est probablement pas le meilleur VN du monde, et même dans mon classement personnel il n’occupe pas la première place (bien qu’il soit sans problème dans les 5 premiers). Et la présence de nombreux éléments de RPG, tout comme l’absence d’arcs ou de choix avec une importance à long terme, pourrait même lancer un débat stérile, avec une sacrée dose de mauvaise foi, sur sa classification en VN.
Mais cela n’empêche pas que le jeu est surprenamment bon. Voire très bon. Voire très très bon. C’est fun à lire et à jouer, il y a une vraie histoire, les personnages sont sympathiques à un point qui devrait être interdit, et certains moments sont absolument mémorables pour de bonnes raisons.
Bref, c’est totalement de la bonne, et il serait fort à parier que sans son image de jeu hentai, et l’omniprésence de relations sexuelles explicites, il aurait pu connaître un bon succès en-dehors de la scène underground.
À partir d’un fantasme comme moteur créatif, et économique, Torotoro Resistance a fait le pari, réussi, de construire un véritable jeu par-dessus, au lieu de se contenter d’enfiler les séquences masturbatoires. C’est assez incroyable à lire, une expérience fascinante qui nous rappelle que c’est le talent de ses auteurs qui fait la qualité d’une œuvre, pas son budget, son thème ou ses intentions initiales.
tldr; Si vous êtes majeur, jouez à Monster Girl Quest. Et ce même si son contenu olé-olé vous laisse froid.