Last (K)night – Carpe diem Gwalchmei

Sorti en septembre dernier, Last (K)night est un visual novel francophone (insérez ici le champ du coq de rigueur) se déroulant dans un univers contemporain en apparence similaire au nôtre, si ce n’est qu’y vivent dans l’ombre des êtres disposant de pouvoirs surnaturels. Ces forces sont nommés les Sceaux, car chaque capacité distincte est liée à un symbole circulaire et stylisé précis. Ogami Shin, étudiant ordinaire, va se retrouver, par une coïncidence qui n’est pas une, au milieu d’un affrontement entre deux de ces êtres à part, la propriétaire de Ephemeral Chivalry et un utilisateur de Hell Master.

À ce stade, votre détecteur de clichés est probablement au-delà de 9000, et je ne peux lui donner tort. Le scénario général de Last (K)night reprend des recettes éprouvées, voire éculées, du genre. Le héros malgré lui, des pouvoirs pouvant être qualifiés de magiques mais qui obéissent en fait à des règles strictes, la découverte progressive de celles-ci en parallèle par le lecteur et le protagoniste, l’inévitable montée en puissance éclair de ce dernier qui lui permet de passer du rôle de simple spectateur à celui d’élément perturbateur qui va bouleverser une situation depuis longtemps figée… Énormément d’éléments du scénario sont des classiques vus et revus.

Cependant, comme nous le rappelle TvTropes, reprendre un schéma narratif existant n’est pas forcément une mauvaise chose. Tout dépend de l’habileté avec lequel il est manié. À ce sujet, il y a du bon et du moins bon.

Du côté du bon, le rythme de Last (K)night est relativement rapide, et il évite en particulier de s’étaler pendant un temps infini sur la vie du héros avant qu’il ne soit confronté au surnaturel. De même, cette célérité permet au protagoniste de ne pas rester bloqué trop longtemps dans sa phase de déni de ce qui lui arrive. Également, les pouvoirs, tous à double tranchant, sont plutôt intéressants car leurs avantages et leurs défauts sont fortement exploités par le scénario. Ce ne sont pas simplement des gadgets réservés aux scènes de combat et oubliés entretemps.

Du côté du moins bon, un fort classicisme. En effet, si le traitement des différentes thématiques évite les principaux écueils, il n’en reste pas moins fort conventionnel. Les schémas sont correctement utilisés, mais ils ne sont pas transcendés.

Ah si, un point qui m’a agréablement surpris car il tranche justement dans le vif d’un cliché trop courant du format : pour une fois le héros est amoureux avant même que l’histoire ne commence au lieu de découvrir l’élu de son cœur au début de celle-ci et de voir ses sentiments grandir tout au long de son déroulement. Il ne changera pas d’avis à chaque fois qu’il croisera un nouveau personnage féminin, et conquérir la demoiselle ne sera pas nécessaire pour arriver à la fin. Tout cela est à mon sens suffisamment rare pour mériter son propre paragraphe dans cette chronique. En conséquence, le format surexploité un arc = une fille est aussi évité.

Arcs qui sont d’ailleurs ici au nombre de trois. Si les deux premiers sont fortement entremêlés, explorant deux côtés d’une même pièce, le troisième est bizarrement différent. La plupart des personnages principaux s’y trouvent écartés, un nouveau méchant est révélé, mais il s’avère fade dans ses motivations comme dans son comportement. Cet arc n’apporte à mon sens pas grand chose, et j’aurais même tendance à dire qu’en entraînant l’histoire dans une autre direction, il affaiblit le propos des autres arcs, comme par exemple la portée symbolique du duel du chevalier et du le démon. Pour donner un exemple, le problème est le même que pour les deux faces de la lune dans Tsukihime, avec Arcueid et Ciel d’un côté, et Akiha, Hisui et Kohaku de l’autre, sans jamais qu’elles se croisent vraiment.

En parlant de Type-Moon, l’influence qu’ils ont eu sur l’histoire est évidente. Entre l’ambiance générale, l’importance particulière donnée aux yeux, les pouvoirs très cinématographiques (transformations, effets de lumière) obéissant à des règles complexes, les dessins des Sceaux qui rappellent les Sorts de Commandement ou encore la thématique de la chevalerie, la parenté avec Fate/stay night est nette. Ce VN précis étant explicitement cité dans la présentation du jeu, l’inspiration est assumée, mais je me demande si elle n’a pas inconsciemment pris plus de place dans le scénario que ce qu’envisageait l’auteur au départ.

By my Command Spell, I hereby order you…

Mais ne soyons pas médisant. Si c’est le genre de choses qui apparaît clairement en réfléchissant sur le sujet à tête reposé (par exemple en écrivant une critique), pendant la lecture, dans le flot de l’action, cet aspect n’est pas aussi prononcé. L’histoire se lit sans problème et ne provoque pas de sentiment particulier de déjà vu. Mais là encore, elle n’a pas vraiment de passage exceptionnel. Elle se situe toujours dans cette ligne médiane de la qualité, correcte, mais pas extraordinaire, avec des moments tout de même très sympas (la scène de la tour de l’horloge) et d’autres moins (un deus ex machina quasiment littéral à la fin du premier arc).

En terme de style, et bien c’est un peu pareil. Ce n’est pas horrible, mais la maîtrise de la langue n’est pas non plus céleste, avec des fautes de-ci de-là et des constructions de phrases manquant parfois de dynamisme. C’est également inégal sur la longueur, en raison probablement des délais de développement du jeu (3 ans). À mon sens, le passage le plus désagréable à lire est d’ailleurs la toute première scène, avec ses phrases très courtes, très sèches, ce qui risque de provoquer quelques abandons chez les moins courageux, et des mauvais a priori chez d’autres. Je le précise ici pour que vous sachiez à quoi vous en tenir : cela s’améliore par la suite.

Pour les graphismes, c’est exactement pareil : pas honteux, pas extraordinaire, inégal. Pour de l’amateur, c’est quelques crans au-dessus de la moyenne, mais cela n’atteint pas les sommets bien élevés que peuvent proposer certains membres de la communauté anglophone sur des projets officiellement non professionnels. Sans aller jusqu’à Katawa Shoujo, un coup d’œil au dernier NanoReno suffit à constater que la barre est haute pour réussir à impressionner simplement par la qualité du dessin.

Toutefois, pour compenser cette faiblesse du trait, l’accent a été mis sur la quantité. Il y a énormément de petits CGs, pour varier la présentation et éviter de toujours rester sur le syndrome des deux sprites bien droits qui se regardent comme deux zombies. Je pense notamment aux discussions sur un banc, qui ont une construction de l’image franchement intéressante. Également, si les personnages ont parfois des ratés, surtout saisis en plein mouvement (le héros qui rit par exemple), les arrière-plans et les bâtiments sont plutôt dans le haut du panier.


Démonstration par l’exemple du paragraphe juste au-dessus

En ce qui concerne la construction de l’aventure, pas grand chose à dire. Ce VN suit le principe de Saya no Uta, c’est-à-dire que le nombre de choix est réduit au strict minimum mais que chaque alternative mène à un arc différent. C’est un processus honorable, que je préfère de loin à une accumulation de choix inutiles, sans réelles conséquences ni logique.

Pour la musique, cela va aussi être très rapide : il n’y en a pas. L’auteur s’explique d’ailleurs à ce sujet ici. L’absence de mélodies ne m’a personnellement pas dérangé. Ensuite, j’ai l’oreille musicale d’un pot de chambre et l’habitude de jouer avec des versions buggées sans musique (j’ai fait tout Tsukihime dans le silence), donc je ne suis pas forcément la personne la mieux placée pour disserter sur le sujet. Mais dans l’absolu, c’est un choix de conception honorable que de préférer ne rien mettre plutôt que des morceaux qui ne colleraient pas simplement pour avoir un fond sonore.

Étrangement, ce sont plutôt les bruitages qui m’ont manqués. Pour expliquer pourquoi, il va me falloir faire une petite digression.

Un texte a son propre rythme. Phrases brèves, concises, ou propositions complexes s’étendant sur de très longues distances. Indépendamment de la vitesse de lecture mécanique (le temps nécessaire à décoder les mots) propre au lecteur, le style, la construction impose un rythme précis. Un des miracles de l’écriture est justement de pouvoir diluer une seconde à l’infini ou de faire passer une éternité en un instant selon les besoins de la narration.

Mais le rythme d’un VN n’est pas égal à celui de son texte. Il dépend aussi de la technique, de la façon d’enchaîner les paragraphes, les images. Un même passage, s’il est affiché fraction par fraction, clic après clic, n’a pas le même ressenti que s’il apparaît d’un bloc. Même les illustrations ont un rythme, une impulsion, un tempo qui leur est propre, selon le style graphique employé et ce qu’elle représente, mais aussi la façon de les faire apparaître et disparaître.

Le rythme général d’un Visual Novel est ainsi une synergie entre celui des ses composants, du texte, de l’interface, des images, de la musique. C’est une alchimie délicate, et que tout soit en accord est presque un idéal théorique tant le juste équilibre est dur à atteindre et à maintenir.

Dans ce complexe mélange, les bruitages sont souvent utilisés pour battre la mesure. C’est particulièrement vrai dans les combats à l’épée, où la fréquence du bruit des lames qui s’entrechoquent donne immédiatement une idée générale du rythme de la passe d’armes. De façon générale, j’ai tendance à penser que ces sons courts et percutants sont un peu le métronome des scènes d’action. Ils résonnent aux moments-clés, forcent une pause entre deux phrases, ne serait-ce que parce que le cerveau humain est un instant distrait du texte.

Ici, il n’y avait rien, et j’ai ressenti ce manque. Ce sentiment a peut-être été amplifié par le fait que le texte utilise régulièrement le champ lexical de l’horlogerie, évoquant des bruits de cloches, des mouvements de balancier, des Tic Tac, etc. sans jamais qu’ils ne se fassent entendre.

J’ai passé en revue le texte, le son, l’image et la construction. Reste la technique. En effet, pour une fois, ce VN n’a pas été réalisé sous Ren’Py, mais avec un moteur bricolé pour l’occasion. Je soupçonne que la raison en est la volonté de produire une œuvre lisible directement sur le web, sans qu’il soit besoin de la télécharger au préalable, chose que Ren’Py ne permet pas.

S’il est loin d’avoir toutes les fonctionnalités de Ren’Py, notamment une avance rapide bien pratique quand vous êtes un chroniqueur à la recherche d’une image précise pour illustrer votre article, les bases sont là : retour en arrière, gestion des chapitres, sauvegarde automatique. S’agissant d’une œuvre relativement courte et simple dans sa construction, c’est amplement suffisant. À noter que pour avoir l’épilogue, vous devrez retourner à la sélection des chapitres et faire défiler tout à droite une fois tous les arcs terminés (j’ai failli le rater la première fois).

La sélection des chapitres est aussi très claire sur le découpage épuré de l’aventure.

Que conclure de la déferlante chaotique de phrases qui constituent cette critique ? Et bien, que mon avis final est lui aussi confus. Last (K)night a de nombreux défauts, que j’ai ressenti en jouant, pas simplement en le décortiquant a posteriori. Il ne parvient pas à atteindre sur un seul de ses composants (scénario, graphismes, construction) un sommet qui lui permettrait de se démarquer réellement, de rester durablement dans les mémoires et les cœurs. Mais il n’en reste pas moins agréable à lire. Je l’ai terminé sans forcer et n’ai pas regretté le temps que je lui ai consacré.

C’est un peu une honnête série B, pas dans le sens injurieux qu’a pris ce mot maintenant, mais dans celui d’un film à moindre budget marchant dans les traces d’une production de plus grande ampleur sans en atteindre la grandeur mais pour un résultat final qui n’a rien de honteux non plus.

De ce point de vue, je le comparerais au très légèrement plus connu Doppelganger : Dawn of the Inverted Soul. Même si les deux titres n’ont objectivement pas grand chose en commun, ils partagent cette même aura artisanale, cette volonté de bien faire, ce même rendu final rugueux, bosselé, avec des bouts de scotch à droite à gauche, pas parfait mais infiniment plus chaleureux que certaines productions à gros budget formatées, lisses et sans âme.

En résumé, je ne pense pas que la lecture de Last (K)night révolutionnera votre vision du genre ou votre vie en général, mais il y a de bien pires façons de dépenser votre temps que de le parcourir.

Skarn

Dri annonce Last (K)night

On savait que Dri, l’auteur du blog Dreamnoid, préparait depuis longtemps un visual novel dont il souhaitait s’occuper entièrement lui-même. Hier, après trois ans de travail, il a enfin annoncé que le jeu était prêt à sortir ce mois-ci.

Last (K)night raconte l’histoire de Shin, un homme menant une vie fort monotone. Son train de vie sans saveur est brusquement interrompu lorsqu’il croise une femme traquée par la mafia qui utilisera Shin comme sacrifice afin de s’échapper par le biais de la magie noire. Il ne reste alors à Shin que 24h à vivre, 24h durant lesquelles il tentera de sauver une vie.

Dessiné, écrit, codé entièrement par Dri, LKn ne comprend cependant pas de musique, son auteur n’ayant pas souhaité faire appel à un tiers ou utiliser des musiques libres de droit. Le jeu se décompose en trois parties qui relateront chacune la même histoire, mais en mettant l’accent sur différents points de vue.

Le jeu sera disponible courant septembre sur navigateurs.

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