Vendre le Visual Novel au monde

Questions

Le Visual Novel est à l’heure actuelle un marché de niche, avec une communauté minuscule. Et comme tout groupe de petite taille, elle aspire à s’agrandir. Mais comment draguer le public ?

Mise en situation : Vous êtes dans une convention et vous devez convaincre un ou une jeune ingénu(e) qui vient de s’arrêter sur votre stand, par vos chatoyantes affiches attirée(e), que les Visual Novels, c’est trop bien, en particulier celui que vous éditez/créez/traduisez/adorez. Sauf qu’évidemment, la personne concernée a plein de questions et des remarques pénibles, comme :

Mais c’est quoi un Visual Novel ?

Question simple mais pourtant incroyablement épineuse, évoquée jusque dans la FAQ de ce même site. En effet, les seules constantes entre deux VN semblent être :

  1. Le texte comme élément central
  2. Le format numérique
  3. L’omniprésence des illustrations

Si vous enlevez le premier, vous retrouvez avec un anime. Si vous retirez le second, cela devient un manga. Supprimer le dernier et vous obtenez un livre numérique « ordinaire ».

Tout le reste est facultatif, même si d’autres éléments, comme la musique, sont rarement absents. La possibilité de faire des choix est souvent citée mais elle n’est en rien propre au médium. Certains de ses plus éminents ressortissants la boudent sans complexe (les Naku Koro ni par exemple), tandis que d’autres supports le permettent (RPG, fictions interactives, livres-jeux…).

Ensuite, il existe plusieurs autres points qui même s’ils ne sont pas nécessaires sont profondément ancrés au point que toute critique d’une œuvre qui ne les inclue pas évoquera leur absence (« pour une fois », « contrairement à d’habitude ») :

  • Le respect de codes graphiques propres à l’animation japonaise
  • La romance

Le premier point est rarement repoussant pour les néophytes. Déjà, car ils viennent souvent de ce milieu, et c’est donc plutôt un atout. Ensuite car le style manga est maintenant relativement intégré dans la culture visuelle moderne, avec nombre d’œuvres diverses, parfois très éloignées des médiums dessinés (les robots géants chamarrés de Pacific Rim), qui s’en inspirent, en reprennent des éléments.

Mais le second amène souvent à l’interrogation suivante.

C’est un jeu de drague ?

Le VN doit être un des rares genres où une partie de créateurs se sentent obligés de préciser le sexe du protagoniste et de ses différentes conquêtes potentielles dès le titre de l’annonce officielle de leur projet. Le message d’introduction sera d’ailleurs généralement accompagné de la liste exhaustive de ces personnages.

Plus que la romance elle-même, c’est sa mécanisation qui est souvent moquée. Utilisation de statistiques chiffrées pour évaluer les émotions, découpage scénaristique étanche selon la demoiselle ou le damoiseau choisi(e), Game Over si l’affection n’est pas assez grande, nécessité de recommencer jusqu’à avoir séduit tout le harem pour accéder à la fin ultime…

L’utilisation inconsidérée et maladroite de ces mécaniques a aussi contribué à en accroître le rejet. Qu’une histoire de robots géants qui affrontent des monstres tout aussi démesurés change du tout au tout selon que le héros préfère sa voisine de classe à son amie d’enfance est souvent assez artificiel.

Cependant, si c’est un élément qui peut prêter à sourire, il commence à se répandre dans d’autres jeux forts populaires. Persona est bien sûr le premier nom qui vient à l’esprit mais nombre d’autres RPG incluent des métriques de la bonne entente, et plus si affinités, des personnages, parfois avec un brin de second degré.

C’est une question de dosage. Si le titre est construit autour de la possibilité de séduire de jolis minets, alors il faut l’assumer. Si c’est une mécanique secondaire, elle doit être considérée comme telle, de la même façon que Final Fantasy X n’est pas rangé dans les jeux de sports malgré la possibilité d’y faire du blitzball.

C’est pas un truc de cul ?

Jeu : Allez sur VNDB (http://vndb.org/) et comptez le nombre de fois qu’il vous faut cliquer sur Random visual novel avant de tomber sur un jeu à la jaquette NSFW. Répétez ensuite l’expérience, mais en vous arrêtant dès que vous tombez sur un jeu disposant d’au moins une version 18+.

S’il y a effectivement un gros effort depuis plusieurs années pour effacer l’équivalence VN=scènes de fesses, aussi bien en Occident (nombre de jeux indépendants) qu’au Japon (Steins;Gate, 999: Nine Hours, Nine Persons, Nine Doors…), ce n’est qu’une goutte d’eau par rapport à plus de 30 ans de production comportant des scènes érotiques. Production qui continue encore aujourd’hui partout dans le monde.

Cela inclue bien sûr des œuvres à caractère purement pornographique, mais aussi une spécificité propre au VN : De nombreux récits centrés sur totalement autre chose comprennent une partie de jambes en l’air à un moment de l’histoire. Ces scènes sont souvent assez courtes, n’occupant qu’une portion congrue de la narration, mais bien présentes.

Ce phénomène soulève bien des passions dans la communauté, entre ses détracteurs et ses défenseurs. Mais c’est un fait qu’il contribue à cette stigmate, cette association entre le VN et le hentai, et ce même si l’épisode moyen de Game of Thrones contient plus de nichons que le Type-Moon moyen.

En effet, si un amour platonique, même écrit avec les pieds et calibré comme une formule mathématique, prêtera au plus à la dérision, le sexe est un tabou, généralement associé à des créations bas de gamme dont le seul intérêt repose justement sur la pornographie.

De là, soit vous avez de la chance et le titre que vous défendez est tout public, auquel cas vous pouvez énergiquement répondre par la négative à la question. Soit il porte la mention « Interdit aux mineurs » pour de très bonnes raisons, et c’est là son principal argument de vente, aussi n’avez-vous pas à le cacher.

Parfois également, la présence de ces scènes peut se justifier. Ainsi, dans Saya no Uta, il peut être argué, même si c’est très débattable, que les relativement nombreuses scènes de sexe contribuent à l’ambiance malsaine générale.

Mais si vous êtes vraiment maudit et qu’il s’agit d’un nakige tout mignon et pourtant 18+, votre argumentation va devenir compliquée. Parfois, il n’y a juste pas de bonne explication, le passage est juste gratuit (exemple : la scène de la succube dans Tsukihime), c’est un défaut et il faut l’assumer. Chercher à défendre l’indéfendable ne peut aboutir à rien de bon.

Mais c’est un bouquin en fait ?

Il y a des gens qui n’aiment pas lire. C’est comme ça, c’est la vie. Vous n’arriverez donc logiquement jamais à leur refiler un VN. Cela reste un genre beaucoup trop littéraire, qui passe par la consommation d’un pavé, qui plus est sur l’écran. Pour donner un ordre d’idée, Katawa Shoujo contient plus de mots que le Seigneur des Anneaux.

Ainsi, si un poster réussi peut suffire attirer l’attention, il faut se faire à l’idée que beaucoup fuiront en voyant plus de deux lignes de texte.

J’avais essayé de lire « Nom d’un VN assez connu » mais j’ai jamais réussi à dépasser la première heure

Un nombre non négligeable de VN pourtant populaires ont un démarrage poussif. Ce n’est pas une trahison que de le reconnaître.

Cela peut provenir d’une présentation assez longuette de nombreux protagonistes dès le départ, avec des éléments de leur vie de tous les jours pour établir un contexte avant que l’élément perturbateur ne débarque. Si c’est mal géré, cela crée une série de scènes où il ne se passe littéralement rien, puisque l’histoire n’a pas encore démarré.

Il y a aussi parfois des problèmes propres à l’écriture. Un style lourd, répétitif, que ce soit d’origine ou provoqué par la traduction, est aussi pénalisant pour un VN que pour un livre ordinaire. Un VN peut ainsi abriter d’excellentes idées, de très bons personnages, un scénario grandiose… et être écrit avec les pieds.

La durée de vie, représentée par un nombre de mots, étant parfois utilisée comme argument commercial, certains auteurs peu scrupuleux ont aussi tendance à diluer la sauce. Il y également des rumeurs d’écrivains payés au mot ou à la ligne (comme Balzac), mais je ne retrouve plus mes sources, donc laissons-leur le bénéfice du doute.

De plus, certains des VN les plus connus, grâce à leurs innombrables adaptations, sont aussi logiquement les plus vieux. Ils comportent donc parfois des lourdeurs d’un autre temps, des éléments de narration considérés alors comme la norme mais qui sont depuis tombés en désuétude, des astuces de présentation autrefois novatrices qui passent mal maintenant. Nous parlons d’un médium relativement jeune, qui plus est sur un support (le numérique) en changement perpétuel, et dix ans d’écart représente une éternité de bouleversements.

Je lis surtout dans les transports. Est-ce que cela fonctionnera sur mon téléphone/ma console portable ?

Miracle de l’évolution de la technologie, pour bon nombre de titres récents produits par la communauté, la réponse est oui. L’apparition de moteurs multi-plateformes (Ren’Py) et de VN web en JavaScript y est pour beaucoup.

Mais cela n’empêche pas certains titres d’être encore enfermés dans un écosystème où Windows, voire une certaine version de Windows, avec les caractères non-Unicode en japonais et quelques magouilles dans les DLL, est nécessaire. Dans ce genre de cas, un bon tutoriel est le mieux qui puisse être fait à moins de tout recoder soi-même (ce que certains font).

Réponses ?

J’ai sans doute oublié un certain nombre d’interrogations courantes du public. Mais il y a deux points sur lesquels j’aimerais m’attarder :

Une vision par défaut négative

À cause de sa relation étroite avec le hentai, le VN renvoie par défaut à l’image de l’otaku enfermé dans sa chambre avec ses figurines, ses dakimakura, ses posters et sa boîte de mouchoirs. C’est évident biaisé, comme d’associer les mangas et les animes en général à ce cliché, mais les réputations ont la vie dure.

Cela a pour conséquence que le VN est de base coupable, et chacun de ses défauts sera utilisé contre lui, tandis que ses qualités seront minimisés. Ce qui est complètement idiot. Tout titre a ses faiblesses. Personne ne descend en flammes Zelda 64 à cause du problème d’ergonomie des bottes de plomb dans le temple de l’eau (nécessité d’ouvrir le menu à chaque fois, ce qui prend des siècles). Pourtant, certains tirent à boulets rouges sur Deus Machina Demonbane à cause de la scène où Nyarlathotep sodomise le Nécronomicon (bon, OK, j’admets que cet exemple est un rien provocateur, et, non, vous n’aurez pas d’image).

Plutôt que de chercher à défendre des faiblesses réelles, il faut les assumer et passer au sujet suivant : les qualités réelles qui les surclassent.

Une œuvre n’est pas le genre, le genre n’est pas une œuvre

Il y en a qui attaquent le VN dans son intégralité, comme si l’ensemble était responsable des faiblesses particulières de ses composants.

Inversement, d’autres défendent le VN en bloc, comme si s’attaquer à ses éléments les plus corrompus revenait à agresser le genre en général. Ce faisant, ils ne font que renforcer l’amalgame.

Le VN est un genre littéraire, comme le roman, le théâtre, la poésie. Il est constitué d’œuvres qui elles sont indépendantes. Certaines sont des merveilles, d’autres des torchons.

Il y a des titres bons. Il y a des titres mauvais. Il y a des titres globalement bons, mais avec des faiblesses éléphantesques qu’on leur pardonne à cause de leurs autres qualités.

Et un titre bon ne l’est jamais que dans sa catégorie. Une historiette d’amour en milieu scolaire contemporain ne plaira jamais à tout le monde, même si elle est une merveille d’écriture, de découpage, de construction. De même pour une nouvelle de fantasy, un récit de SF…

Cela a des conséquences impromptues. Si les fans de VN ont tendance à s’agglutiner pour des raisons techniques (même problématique d’outils, de distribution), force est de constater qu’ils n’ont souvent pas grand chose en commun sur les autres points. Qu’est-ce l’amateur de space opera avec des mechas va bien pouvoir raconter à la fanatique de romantisme gothique dans une époque victorienne uchronique ?

Les difficultés à cimenter une communauté viennent peut-être de là. Le VN est un moyen d’expression, et peut-être une critique de Kara no Shoujo aurait-elle plus sa place sur un site de romans policiers qu’à côté de l’annonce de la sortie de Boob Wars: Big Boobs vs Flat Chests.

 

Ce pavé (il paraissait moins long sur mon fichier de brouillon) n’entend pas apporter de réponses tranchées, mais juste proposer des pistes de réflexion. Si vous avez des idées, des remarques, des tomates à lancer, les commentaires sont là pour cela.

3 réflexions sur “Vendre le Visual Novel au monde

  1. « Pourtant, certains tirent à boulets rouges sur Deus Machina Demonbane à cause de la scène où Nyarlathotep sodomise le Nécronomicon (bon, OK, j’admets que cet exemple est un rien provocateur, et, non, vous n’aurez pas d’image) »

    Merci pour le spoil ! J’ai l’impression que je passe ma vie à lire des gens qui n’ont aucun respect pour les autres.

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  2. Je voudrais me lancer dans un VN totalement amateur, et vu que tu as l’air de très bien t’y connaître, tu pourrait sûrement mon répondre : quel est le meilleur logiciel pour crée un VN selon toi? Et est-il possible d’intégrer quelques éléments non VN comme quelques passages de point n click où des vidéos? Merci pour ta réponse.

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    1. Pour ce qui concerne la création proprement dite, je te renvoie, en français, sur les très bons articles de Helia (http://traumendes-madchen.com/blogfr/?p=152, http://traumendes-madchen.com/blogfr/?p=233, http://traumendes-madchen.com/blogfr/?p=605). Dreamnoid en a aussi un très intéressant spécifiquement centré sur le développement à petit budget (http://dreamnoid.com/articles/repenser-le-visual-novel-pour-etre-plus-indie-friendly/).

      En anglais, la référence est sans contexte Lemma Soft (http://lemmasoft.renai.us/forums/), un gigantesque forum où il est possible de tout trouver… mais aussi de se perdre assez facilement.

      Pour répondre à ta question, à moins que tu ne veuilles faire un VN lisible dans un navigateur web (ce qui est un cas un peu particulier), la référence est sans contexte Ren’Py (http://www.renpy.org/). Libre, gratuit, très grosse communauté, existe depuis longtemps et est toujours en constante amélioration.

      Il a été utilisé pour réaliser un certain nombre d’hybrides assez complexes dont du point-and-click (exemple : http://lemmasoft.renai.us/forums/viewtopic.php?f=11&t=19764), donc pas de problème de ce point de vue là. Par contre, c’est un vrai framework de développement assez lourd, et faire des choses qui sortent un peu des clous nécessite de savoir coder et de s’être avalé la documentation (http://www.renpy.org/doc/html/).

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